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Vers le phare

J’adore travailler sur les dynamiques relationnelles.

C’est vraiment un sujet que je trouve passionnant, et ce sont généralement des accompagnements très touchants et libérateurs.

Dernièrement, une personne que j’accompagne m’a glissé, alors que nous étions en train de travailler sur sa peur de l’abandon dans ses relations amoureuses :« Vous avez de la chance, pour vous ça doit être facile ».

J’ai ri…jaune. Et j’ai répondu : « Si vous saviez… »

Je dis souvent aux personnes que j’accompagne qu’iels sont les seul·es à savoir ce qu’iels vivent et comment iels le vivent.

Laissez-moi vous parler de comment je vis ce que je vis. Non pas que ma vie émotionnelle soit particulièrement intéressante, mais 1) c’est la seule dont je puisse réellement parler en connaissance de cause 2) je trouve important de démystifier cette croyance selon laquelle les accompagnant·es ont réglé tous leurs problèmes.

Alors aujourd’hui, parlons amour et lien d’attachement.

D’abord, un peu de théorie, histoire de poser le contexte.

Je ferai référence dans cet article à la théorie de l’attachement, conceptualisée à la fin des années 50 par John Bowlby, psychiatre anglais. Cette conceptualisation a été affinée par Mary Ainsworth une dizaine d’années plus tard.

Pour Bowlby, le besoin d’attachement serait inné. Ce qui fait sens, étant donné que l’espèce humaine est l’une des seules où les petits sont totalement dépendants des adultes pour assurer leur survie sur une période de plusieurs années.

S’attacher à un humain pour assurer sa stabilité et sa sécurité physique et émotionnelle serait donc génétiquement programmé.

Les bébés développent très rapidement des comportements d’attachement pour alerter leurs donneurs de soins (« caregivers » en anglais dans le texte) sur un danger potentiel (besoin physiologique ou danger externe).

Parmi ces comportements, on retrouve les pleurs, l’agrippement, les sourires, etc.

Bref, je ne vais pas vous faire tout l’article là dessus, mais si vous voulez en savoir plus, vous pouvez en lire un complet mais plutôt concis ici ou regarder cette vidéo.

Toujours est-il que c’est la manière dont les figures d’attachement vont répondre aux comportements et aux besoins de l’enfant qui vont déterminer son mode d’attachement.

La théorie de l’attachement distingue 4 modes d’attachement chez l’enfant ( et 4 chez l’adulte également, même si les termes varient un peu):

– l’attachement sécure

– l’attachement insécure-évitant

– l’attachement insécure ambivalent-anxieux

– l’attachement désorganisé

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Pour en savoir un peu plus, vous pouvez regarder ici. Pour en savoir plus sur les conséquences à l’âge adulte, c’est ici.

Et c’est là qu’on en vient à ce que je vis et comment je le vis (ah bah c’est pas trop tôt hein?!)

Je me suis construite sur un mode d’attachement insécure évitant.

Je ne peux pas dire que j’ai manqué de figures d’attachement, mais mes figures d’attachement principales étaient défaillantes, et j’ai grandi dans un climat de violences physiques, verbales, psychologiques, de précarité matérielle et d’instabilité émotionnelle.

J’ai toutefois eu la chance d’avoir des figures d’attachements secondaires très présentes, parce que je suis la dernière de 6 filles, et que l’écart d’âge important entre mes aînées et moi m’a permis de passer beaucoup de temps chez mes sœurs et mes beaux-frères, auprès de qui je pouvais trouver plus de stabilité et de sécurité.

Mais globalement, je dirais que je n’ai pas le souvenir d’avoir été un jour une enfant insouciante.

J’étais perpétuellement en hyper vigilance.

À l’adolescence, je suis devenue ce que la théorie de l’attachement décrit comme une enfant « parentifiée » lorsque je me suis retrouvée seule avec ma mère, dont j’ai dû prendre soin alors qu’elle traversait une longue période de dépression sévère.

J’ai appris à me débrouiller seule, à ne pas chercher de réconfort auprès des adultes, à me couper de la charge émotionnelle des autres, que je recevais en pleine poire avec la violence d’un tsunami et qui s’imprimait durablement en moi, surtout lorsqu’il s’agissait de ma mère (hypervigilance+ forte sensibilité, combo gagnant).
J’ai appris que peu importe la place que je prenais, qu’elle soit minuscule ou énorme, ce serait toujours trop.

J’ai appris à avoir confiance en moi, à valoriser mon autonomie et mon indépendance, mais à ne surtout pas me reposer sur qui que ce soit, et à ne jamais laisser entrevoir une quelconque forme de vulnérabilité.

Paradoxalement, ça ne m’a pas empêchée de m’engager très jeune dans une relation durable, et de me marier à 20 ans. Sur le papier, zéro peur de l’engagement.

Si je me suis engagée dans les faits, je me suis peu engagée émotionnellement dans mon mariage. Je ne dirais pas que je n’ai pas aimé mon ex mari. Je dirais que je l’ai aimé comme j’ai pu et su le faire avec ce que j’étais à l’époque.

La première fois que j’ai senti qu’il y avait un truc qui tiraillait très fort chez moi et que l’engagement émotionnel profond me faisait flipper, c’est lorsque je suis devenue mère.

Avant même d’accoucher, les vagues d’amour que je ressentais pour ce bébé qui grandissait à l’intérieur de moi me déstabilisaient complètement. Dans le même temps, j’étais taraudée par la crainte de ne pas savoir lui montrer d’affection, ou pire encore, de ne pas en ressentir.

Lorsque mon premier fils est né, j’ai été instantanément prise d’une peur intense face à la force du lien que je ressentais. Je me souviens du premier réveil. J’ai accouché en début d’après-midi, après un travail long et fatiguant, et le personnel de la clinique m’avait proposé de garder mon bébé la première nuit afin que je puisse dormir un peu.

Lorsque je me suis réveillée, mon bébé n’était pas dans ma chambre. J’ai été prise d’une bouffée d’angoisse immense. Fort heureusement la puéricultrice est arrivée dans la foulée, poussant le berceau de mon enfant.

Je l’ai pris dans mes bras, et je me souviens m’être dit « S’il lui arrive quelque chose, j’en perdrais la raison ». Je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie. Je le savais dépendant de moi, je me découvrais d’une certaine manière dépendante de lui, parce que liée par un amour d’une profondeur et d’une intensité dont je n’avais jamais fait l’expérience. Les miquettes de ma life, j’vous jure !

Ce sentiment de peur s’est apaisé au fil des jours et des semaines. J’ai appris à construire du lien de manière sécure avec mon enfant. J’ai été rassurée dans mon propre rôle de figure d’attachement. Non pas que ça ait été un long fleuve tranquille, j’en ai ch*é comme les copaines. Mais l’un dans l’autre, je suis devenue maman.

Avec le recul, et en jetant un regard « attachementiste » sur l’échec de mon mariage, je pense que le gouffre énorme entre ma capacité à m’engager émotionnellement dans mon rôle de mère et ma difficulté à le faire dans mon rôle d’épouse a crée une frustration importante chez mon ex mari à laquelle je n’ai pas su répondre comme il en aurait eu besoin, inconsciente que j’étais de ce qui se jouait en moi.

À l’époque, je me suis dit que je savais aimer mes enfants et que c’était déjà pas mal. Faut pas pousser mémé dans les orties non plus.

Quelques années plus tard, quelques traumas en plus, un divorce pour le moins houleux dans ma besace, etc, etc.

Je valorise encore plus mon autonomie, ma capacité de détachement face aux situations de crise (mon œil, oui, tu dissocies Gertrude, rien de bien honorifique à ça, mais bon, c’est ce que je sais faire et c’est comme ça que je survis depuis toujours). Je me sais toujours forte, je sais aussi que j’ai mes limites et que je dois en tenir compte.

Je me dis que vraiment, le célibat c’est la vie, y’a pas à dire !

Jusqu’au jour où…je tombe amoureuse.

Je vous passe les détails. Déjà que cet article est un sacré boulot d’introspection, gardons un peu d’intimité tout de même.

Mais je découvre petit à petit que cette relation est à la fois la plus sécurisante et la plus déstabilisante que j’ai connue.

J’ai beau tenter de garder un certain détachement, rien à faire. Moi, la « control freak » des émotions, je ne maîtrise rien. J’aime cet homme de tout mon être.

Coup de bol, il me le rend au centuple. En prime, il est formidable et on s’entend à merveille.

Il est où le problème alors ? Fondamentalement, nulle part. Il n’y en a pas. Rationnellement du moins .

Sauf que moi, je me suis construite avec la croyance que tous les gens qu’on aime finissent par nous décevoir, nous trahir ou nous abandonner. Et cette croyance est profondément chevillée, à tel point que je suis persuadée que ça fait partie de mon ADN.

Lors d’une séance avec mon thérapeute à ce sujet, j’ai donné la métaphore suivante : « C’est comme si cette relation était une pièce, pleine de belles choses dont j’ai envie d’aller profiter, mais en même temps je ne peux pas parce que je n’arrive pas à lâcher la poignée de la porte . J’ai un pied dedans, un pied dehors. » À ce moment là j’étais prête à tout arrêter tellement j’avais peur, mais une part de moi (merci à elle) ne cessait de me dire : « Si tu fais ça ma vieille, bon courage pour gérer une vie de regrets ! »

J’ai toujours plutôt bien assumé d’être un paradoxe sur pattes. Je crois qu’on l’est toustes. Mais ça s’est particulièrement fait sentir pour moi dans cette relation. J’ai cependant la chance que la peur soit chez moi un puissant levier d’introspection et de changement.

Dans le cadre de la théorie de l’attachement, on parle de système d’attachement qui s’active dans des situations de stress.

Le mien s’active parfois dans des moments où j’aimerais sincèrement qu’il ferme sa mouille. Son activation déclenche parfois chez moi des comportements totalement en décalage avec mes ressentis ou mes pensées.

Bien évidemment, dans un couple on est deux, chacun·e avec ses blessures et ses élastiques qui tiraillent. Parfois ce sont les miennes qui s’activent, parfois les siennes.

À cela s’ajoute l’influence de la société et son regard sur le couple. Comme je ne suis pas à un paradoxe prêt, je suis la personne qui passe son temps à critiquer les injonctions sociétales, et qui dans le même temps a cette petite voix qui lui répète sans cesse « vous ne vivez pas ensemble, vous n’êtes pas un « vrai couple » » J’ai envie de lui coller une chaussette sale dans le bec (du genre de celles qu’on trouve au fond du sac d’entraînement de foot de son ado après quelques semaines de macération), mais rien à faire, elle pérore quand même.

Elle me dit toujours que je prend trop de place, que je fais trop de bruit, que je ris trop fort, que je respire trop fort, que j’envahis un espace dans lequel ma présence est une nuisance.

J’ai envie de m’engager et de faire évoluer cette relation mais je panique à l’idée qu’il pose sur moi des attentes auxquelles je ne saurais pas répondre et qu’il s’aperçoive que je ne suis pas à la hauteur.

Je me sens plus forte et plus confiante que jamais, et je ne me suis jamais sentie aussi vulnérable (relation de cause à effet peut-être, reste à savoir dans quel sens).

Les liens d’attachement se construisent « du berceau au tombeau » (traduction de l’expression anglaise « from the cradle to the grave ») et ne sont heureusement pas immuables.

S’il m’arrive que mon système d’attachement s’active et que je me sente en inconfort, je sais que c’est également le signe que les lignes bougent. Et on ne va pas se mentir, vu le mode d’attachement que j’ai construit au démarrage, je ne suis pas mécontente d’être capable d’évoluer sur ce plan.

Ce que je vais vous dire, si vous m’aviez dit il y a 10 ans que je prononcerais ces mots, je vous aurais ri au nez. D’un rire sarcastique associé à un sourcil levé et un regard moqueur. Il n’empêche…

L’amour répare.

Attention, je ne pense pas qu’il faille rechercher sa réparation dans une relation naissante. Mais parfois, c’est ce qui arrive.

Une relation naît, et vous permet de trouver la force de déconstruire des schémas relationnels dysfonctionnels pour en bâtir de nouveaux.

Ça bouleverse, ça fait tanguer sur ses bases, on tâtonne, on flippe, mais on s’offre l’un·e l’autre la sécurité nécessaire pour co-construire un espace de confiance et d’épanouissement mutuels.

On trouve un nouveau phare*, qui nous donne la force d’explorer le monde et de braver les tempêtes en sachant qu’on saura toujours retrouver son port d’attache.

Alors si je peux me permettre un conseil non sollicité : si cet article fait écho en vous, travaillez sur vos liens d’attachement.

Ne laissez pas de vilaines blessures vous confiner dans un espace trop étroit pour vous . Ne vous laissez pas agir malgré vous par des schémas qui vous ont été imposés.

Faites vous accompagner dans ce cheminement, parce que ça remue sévère, mais je vous assure que ça vaut le coup.

Lâchez la poignée de la porte et autorisez-vous à explorer l’espace de la relation. Vous y découvrirez tellement sur vous, et sur la personne que vous aimez.

Et si d’aventure vous aviez envie de faire ce travail avec moi, vous savez où me trouver.

  • merci au Dr Anne-Gaëlle Frouin Marien, pédiatre intégrative à la Rochelle, pour cette belle métaphore transmise dans la formation « Attachement et parentalité » proposée par Kiddy Mind. N’hésitez pas à contacter Isabelle Ablain pour en savoir plus.

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