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Et si on se plantait?

« Cette année vous allez apprendre. Pour apprendre, vous allez devoir faire des erreurs, ça fait partie du jeu, ça fait partie de la réussite. Plus vous serez prêts à vous planter, plus vous progresserez. »

Ce discours, je l’ai beaucoup tenu en tant qu’enseignante, et j’y crois dur comme fer.

Pourtant, ce n’est pas celui qui colle le mieux à l’état d’esprit français par rapport à l’erreur (c’est une construction fortement influencée par la culture, et il est toujours intéressant de se pencher sur la manière dont l’erreur est abordée par d’autres pour remettre les choses en perspective).

Chez nous, l’erreur est associée à l’échec. Et l’échec, c’est pas bien ! Ce qui vend du rêve c’est la réussite.

C’est le parcours du gars à qui tout sourit du premier coup grâce à des idées de génie qui lui permettent de faire fortune avec trois bouts de ficelle et deux cure-dents (spoiler alert : c’était probablement 95 % de chance, ou alors c’était MacGyver. Dans tous les cas éteignez la télé, on vous raconte n’importe quoi !)

Les gens qui réussissent bossent pour ça. La réussite vient rarement sonner à notre porte avec un joli ruban rose et une valise contenant 1 million d’euro, ou alors elle ne connaît pas encore mon adresse.

Si elle ne semble pas avoir trouvé la vôtre non plus, je vous conseille d’occuper votre attente en regardant l’excellente conférence de Laurent Bertin sur « Le secret de ceux qui réussissent » ici hypnoscient.fr/conference/

Mais soyons francs, nous avons tous été conditionnés à voir les choses sous cet angle : erreur = échec.

Le système scolaire nous pousse encore trop souvent à nous focaliser sur le résultat : réussir l’évaluation ou l’examen, passer dans la classe supérieure, valider tous les 123472 items du livret de compétences (j’abuse à peine).

Les cahiers sont divisés en deux, entre la partie leçon et la partie exercices, parce que les erreurs ne doivent pas apparaître dans ce que l’élève va apprendre (il ne faudrait pas qu’il en tire quelque chose de constructif, allons donc!)

On demande aux enseignants de ne pas corriger en rouge parce que c’est agressif pour les élèves, au lieu de mettre en place des méthodes d’évaluation qui valorisent les processus naturels d’apprentissage : on apprend en se plantant !

Vous avez déjà vu un jeune enfant apprendre à marcher sans se casser la figure des centaines de fois ? Ou apprendre à parler sans procéder par tentatives, erreurs et corrections ? C’est comme ça qu’on a tous apprendu!

Quand il s’agit d’un jeune enfant, on trouve ça normal. Ça ne nous traverserait pas l’esprit de dire à un bébé de 11 mois qui vient de se rétamer comme une crêpe « Laisse tomber t’es trop nul, t’arriveras jamais à rien ! »

Ça vous heurte même d’y penser ? Pour l’adulte qui observe l’enfant, c’est une évidence. Il va y arriver. Il y a peu de risques qu’il entre au lycée à 4 pattes, n’est-ce-pas ?

Et c’est cette absolue certitude que la chute n’est qu’une étape intermédiaire qui nous permet, en tant que parents, d’être congruents lorsque nous lui disons « C’est pas grave, relève-toi, tu vas y arriver », et qui lui donne la confiance en lui nécessaire pour essayer une fois de plus.

C’est marrant comme cette certitude disparaît bien vite sous la pression de la réussite que nous impose la société dans laquelle nous vivons.

Chez les anglo-saxons, l’échec est vu comme quelque chose de positif. Celui qui a échoué, c’est celui qui a osé essayer. Peu importe si ça lui a permis de reconnaître qu’il n’était pas sur la bonne voie et qu’il a décidé de faire autre chose, ou s’il a persévéré jusqu’à y arriver une fois son erreur reconnue pour être rectifiée.

L’échec fait partie du processus de changement. Prochaska et DiClemente ont inclus la rechute dans leur modèle trans-théorique des changements de comportement. Voici un exemple de ce modèle appliqué à l’arrêt du tabac et proposé par l’HAS: https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2014-11/outil_modele_prochaska_et_diclemente.pdf

Notez que quand on rechute, on ne repart pas de zéro, et c’est déjà une avancée.

Winston Churchill a dit : « Le succès c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme » .

Nelson Mandela a dit : « Je ne perds jamais : soit je gagne, soit j’apprends ».

Je terminerai cette liste de citations par celle de Bernard Shaw : « Le succès ne consiste pas à ne jamais faire d’erreur, mais à ne jamais faire la même erreur deux fois ».

Comme l’explique bien mieux que moi Charles Pépin, philosophe et romancier, l’être humain n’est pas doté du même instinct que les animaux.

Nous sommes faits pour apprendre par l’erreur, et c’est ce qui fait notre liberté (pour l’écouter, c’est ici https://www.youtube.com/watch?v=7fsaKT2MNsw)

Sauf que l’erreur, ce n’est pas ce qui flatte notre ego.

Et oui, le revoilà celui-ci, toujours à guetter derrière la porte.

Quand on se plante, c’est quand même assez rare d’exulter de joie, bras en l’air en chantant du Gloria Gaynor (quoi, c’est pas comme ça que vous faites vous ?)

Les émotions qui surgissent ne sont pas celles que nous accueillons avec le plus d’enthousiasme.

Là aussi, nous avons été formatés à éviter soigneusement les émotions que nous considérons comme négatives (ce formatage se rajoute au câblage naturel de notre cerveau qui a naturellement tendance à préférer l’activation des zones du plaisir à celle du déplaisir, pas folle la guêpe)

Nous avons donc tout naturellement tendance à éviter l’échec.

Soit en ne tentant rien (oh, bonjour très chère procrastination, comment vas-tu ? On se fait un film ou on surfe sur internet au hasard pendant 4 heures?) soit en rejetant la responsabilité sur autrui, le contexte, la faute à pas d’chance…

Pourtant, nos échecs, tout comme nos réussites, nous appartiennent. Les conseils en développement personnel qui vous promettent la clé de la réussite à coup sûr en trois workshops de 3 heures (pour la modique somme de…) vous dirons probablement le contraire. Ceux-là sont de grands fans de MacGyver. Success Only ! Que du positif !

Je vois souvent en consultation des gens qui adoptent ce point de vue et voient l’hypnose comme une baguette magique.

Ils veulent régler leur problème en une séance, et si ça ne fonctionne pas du premier coup, c’est que je suis nulle (ce qui m’arrive, mais l’excuse reste quand même un peu facile) . Ou bien qu’ils sont nuls et qu’ils doivent se faire une raison (là aussi, la posture de victimisation, même si elle est inconfortable, reste souvent une zone de sécurité rassurante)

Il ne faut pas confondre thérapies brèves et lampe magique d’Aladdin. Même si je reconnais volontiers avoir parfois un humour assez proche de celui du génie de la dernière version Disney, je n’ai pas ses pouvoirs. Et vous non plus.

Il arrive que des changements impressionnants se produisent en une séance, et c’est super, évidemment. Mais ce n’est pas toujours le cas, et si ce n’est pas le cas, c’est ok .

Laissez-vous le temps ! Trois ou quatre séances, voire plus, ça reste de la thérapie brève, tout va bien !

Quand on débute dans l’accompagnement, c’est souvent ce qui nous met une pression de résultats assez contre-productive à mon sens.

On veut tellement que notre consultant atteigne son objectif là tout de suite d’ici une heure qu’on n’est plus en capacité d’être centré sur lui. On se focalise sur ce qu’on fait, la technique, le protocole, les phénomènes hypnotiques, et on en oublie la relation d’échange.

Si vous vous reconnaissez en tant qu’accompagnant dans ces lignes, je vous conseille d’aller écouter le podcast d’Anna Galley, « Oser se lancer » (sur Spotify, Deezer, ou encore Soundcloud ici https://soundcloud.com/user-584291772)

Rendre à chacun la responsabilité de s’approprier ses expériences, qu’elles soient agréables ou décevantes, motivantes ou frustrantes, est pour moi un excellent levier de progression.

Accepter de traverser des émotions pas toujours agréables, de se remettre en question, de chercher à apprendre de ses erreurs pour évoluer, même si ça cogne parfois fort sur l’ego, de remettre en cause ses croyances sur soi-même et sur le monde, bref, être en situation d’apprentissage toute sa vie, c’est pour moi la richesse même de l’existence.

Et ça bouge ! Je n’ai pas aujourd’hui la même perception de l’échec que celle que j’avais il y a 20 ans, 5 ans, ou que celle que j’aurai dans 10 ans.

Pourquoi ? Parce que je me suis (parfois lamentablement) plantée dans cet intervalle, et que je vais encore me planter à l’avenir.

C’est ça le terreau de ma réussite.

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