En 2023, 114 000 victimes de violences sexuelles ont été enregistrées par les services de sécurité (source : Ministère de l’intérieur). Sachant que selon l’enquête « Vécu et ressenti en matière de sécurité » effectuée en 2021, seules 5 % des victimes ont déposé plainte pour des violences sexuelles physiques, et 2 % pour des violences sexuelles non physiques, ça vous donne une idée des chiffres vertigineux non pris en considération dans ces statistiques gouvernementales.
En 2023, 134 féminicides ont été commis (source : NousToutes), et 42 sont déjà décomptés pour l’année 2024 (au 5 mars).
Selon le rapport d’enquête « Cadre de vie et sécurité » de 2019, en moyenne chaque année sur la période 2011-2018, 213 000 femmes âgées de 18 à 75 ans ont déclaré avoir été victimes de violences physiques ou sexuelles de la part d’un conjoint ou ex-conjoint . 29 % de ces victimes avaient moins de 30 ans.
Selon l’analyse du rapport d’enquête « Vécu et ressenti en matière de sécurité » de 2022, un viol ou une tentative de viol a lieu toutes les 2 minutes 30 secondes dans l’hexagone.
Selon le rapport de la CIVIISE rendu en 2023, un enfant est victime de viol ou d’agression sexuelle toutes les 3 minutes. 160 000 enfants sont victimes chaque année.
Il y a en a un peu plus. Je vous le mets quand même ou vous en avez assez ?
Les violences sexuelles et les violences intrafamiliales sont un fléau. Il me semble essentiel de garder ces statistiques en tête quand on est accompagnant·e.
Pourquoi ? Faites vos calculs…Combien de personnes passent par votre cabinet chaque mois ? 50 ? 60 ? 80 ?
Parmi ces personnes, combien verbalisent avoir subi des violences ?
Parmi toustes celleux qui ne le verbalisent pas, quelles sont les chances qu’aucune n’en ait réellement vécu ?
Attention, je ne dis pas qu’il faut absolument chercher les violences. Je dis simplement qu’il me semble important de garder à l’esprit qu’elles sont bien plus présentes qu’on aime à le penser, et d’être attentif·ve·s à ne pas participer à les invisibiliser.
Comment on fait ?
Déjà, on s’éduque sur ces sujets. Les formations en ligne proposées par NousToutes.org, par exemple, sont gratuites et très instructives.
Vous pouvez aussi aller faire un tour du côté de la Docteure Muriel Salmona, vous trouverez une mine d’or d’information sur ce site.
Je vais être cash (en même temps, qui est-ce que ça surprendra ?) mais à mon sens, continuer d’ignorer la réalité aujourd’hui, c’est un choix.
Et je peux comprendre qu’on le fasse, qu’on veuille se préserver, parce que tout ça est très anxiogène.
Je peux le comprendre quand on n’accueille pas tous les jours des personnes en situation de fragilité ou de détresse émotionnelle et psychologique. Mais quand on est accompagnant·e, c’est pour moi assez hallucinant.
Les conséquences des violences sexuelles sur la santé sont nombreuses :
– conséquences sur la santé physique:douleurs chroniques, céphalées, troubles de la sphère gynécologique, troubles digestifs, troubles du sommeil, troubles des conduites alimentaires, troubles endocriniens, etc.
– conséquence sur la santé mentale : stress post traumatique, troubles anxieux, dissociation, amnésie, conduites à risque, addictions, troubles dépressifs, troubles cognitifs, etc.
– conséquences sur la santé affective et sexuelle : dyspareunies, troubles du désir, désincarnation, hypersexualité, IST, lésions vulvaires, névralgies pudendales (provoquant des douleurs intenses dans la zone du périnée), difficultés d’attachement, pratiques à risque, difficultés en lien avec la procréation, etc.
– conséquences sur les relations sociales, sur la vie professionnelle
– etc.
Parmi toutes ces conséquences, nombreuses sont les problématiques qu’un·e praticien·ne en hypnose sera amené·e à accompagner régulièrement.
Là encore, attention à ne pas focaliser toute notre attention sur ces sujets, au risque d’induire des projections et des questionnements qui n’appartiennent pas à nos accompagné·es.
Toutefois, poser des mots, ouvrir la porte en posant dans notre cadre que ces sujets ne sont pas tabous au sein de l’espace thérapeutique que nous créons, que l’écoute est active et bienveillante, que la parole sera reçue sans jamais être remise en cause, c’est déjà énorme.
Le reste ne nous appartient pas. Chaque personne accompagnée aura son propre parcours, ses propres besoins et limites, sa propre temporalité.
J’entends bien que c’est un exercice d’équilibriste permanent, que ça peut faire peur, qu’on puisse craindre de nuire, d’être intrusif·ve, de projeter, de manipuler.
Et j’ai envie de dire, tant que ça fait flipper, je trouve ça moins flippant. Quelqu’un·e qui ne se poserait aucune question en ce sens, qui penserait avoir tout le savoir, toutes les réponses, LA posture qu’il faut, serait potentiellement bien plus dangereux·se.
Ce qui m’interpelle, c’est qu’on se laisse pétrifier par la peur et qu’on préfère mettre ces sujets sous le tapis pour ne pas prendre de risques (et, ne nous mentons pas, c’est généralement pour soi-même qu’on cherche à limiter la casse).
Dans ce cas, pourquoi ne pas en faire un cadre clair ? « Je ne suis pas formé·e, sensibilisé·e aux VSS et je n’accompagne donc pas ces problématiques. »
C’est marrant, je n’ai jamais vu ça affiché sur les supports de communication d’aucun·e accompagnant·e.
Et pourtant, combien de messages d’hypnos en détresse sur les groupes facebook parce qu’iels se retrouvent face à des traumas de la sphère intime alors qu’iels pensaient bosser sur des compulsions alimentaires ou des troubles du sommeil?
C’est bien là le hic. Même si on ne voit pas, même si on ne veut pas trop voir la réalité, il y a baleine sous caillou bien plus souvent qu’on ne le croit, et que si on ne veut pas débusquer la baleine, il peut être plus sécurisant pour soi comme pour les personnes qu’on accompagne d’annoncer la couleur.
Parce qu’il vaut mieux connaître et pouvoir identifier et accompagner les mécanismes comme la sidération, l’amnésie traumatique, la reviviscence, les conduites d’évitement ou de dissociation.
Il est important de pouvoir conceptualiser la dissonance cognitive énorme qui se joue quand on est agressé·e par un proche, quelqu’un en qui on a confiance et qu’on aime même parfois, pour accueillir le déni, prendre le temps, respecter les limites de l’autre, en minimisant le risque de jugements erronés.
Il est essentiel d’avoir une connaissance, même sommaire, de ce qu’est la stratégie de l’agresseur, de ce qu’est le cycle de la violence conjugale, des mécanismes récurrents dans les relations d’emprise, pour pouvoir porter un regard éclairé sur les dynamiques relationnelles dans lesquelles nos accompagné·es sont parfois inscrit·es.
Ces connaissances permettent aussi de réaliser que, dans nos propres attitudes, dans nos propos, peuvent parfois se rejouer des dynamiques oppressives ou agressives, sans qu’on le veuille, sans qu’on en ait conscience, parce que la violence est bien trop présente dans notre société pour qu’on ne l’ait pas internalisée nous aussi.
Ces connaissances seront toujours parcellaires, toujours insuffisantes, parce que théoriques, et toujours à actualiser et à corréler à l’expérience vécue par chacun·e des victimes. Et donc, le risque de la boulette sera toujours là, et la peur qui va avec, saine, le sera aussi. C’est aussi pour ça que les supervisions de pratiques existent, et heureusement !
Le risque zéro n’existe donc pas. Celui qu’on cherche réellement à éviter en faisant comme ces enfants qui se cachent derrière leurs mains aux doigts écartés ne serait-il pas plutôt celui de le voir, ce risque ? De craindre la boulette ? De faire attention à tout ce qu’on dit, ce qu’on fait ?
J’entends parfois que ça fait perdre en naturel, en spontanéité, que ça place en tri sur soi et pas sur l’autre, piapiapia.
Au début, peut-être. Ensuite, ça devient un automatisme. Cela ne signifie pas qu’on ne va pas parfois devoir se reprendre. Qu’on ne va pas parfois poser un mot qui nous semble anodin et qui va faire écho très différemment chez la personne qu’on accompagne. Qu’on ne va pas s’en vouloir pendant des lustres.
J’en reviens à l’intention, encore et toujours, parce que c’est pour moi la ligne directrice, le garde-fou, l’ancre d’amarrage, comme vous voudrez.
Je ne fais pas toujours parfaitement, loin de là. Je ne fais même pas toujours bien, très certainement. En revanche, j’ai toujours l’intention sincère de faire de mon mieux, d’apporter le meilleur de ce que je peux apporter à la personne que j’accompagne, et ça, c’est ce qui me tient, c’est ce qui me permet de réagir quand je réalise que je viens de dire ou faire un truc stupide, de le reconnaître pour moi, de le verbaliser pour l’autre si ça me semble juste, et de revenir à mon intention pour tenter de faire mieux.
Est-ce que ça suffit toujours à effacer la boulette ? Je n’en suis pas certaine. Est-ce que ça apporte au moins un début de réparation ? J’ose l’espérer.
Rappelez-vous, si vous cherchez à vous faire accompagner, pour un trauma, ou pour tout autre chose mais que trauma il y a ou il y a eu un jour, que vous avez droit à un espace de sécurité. Qu’il appartient à la personne qui vous accompagne de le co-créer avec vous. Que parfois, même avec la meilleure intention du monde, ça ne suffit pas, l’alliance ne se crée pas, c’est comme ça, on est humain·es, et que vous avez le droit de le dire, de l’écrire, ou de ne pas le dire mais de ne pas revenir.
Rappelez-vous que cette espace est pour vous, que vous devez toujours y être la priorité, et que dans une relation thérapeutique comme dans n’importe quelle relation, il est essentiel que vous vous sentiez toujours libre de vos choix.
Si vous êtes accompagnant·e, rappelez-vous que vous avez le droit de prendre votre temps vous aussi, de définir votre propre cadre, votre propre posture, et de les faire évoluer au fil de votre pratique, que vous êtes en droit de refuser certains accompagnements si vous estimez que vous n’êtes pas en capacité d’accompagner une problématique, que vous pouvez dire à un·e accompagné·e que vous avez besoin de prendre des renseignements ou de discuter de la meilleure approche en supervision avant de poursuivre.
Rappelez-vous que le mieux est parfois l’ennemi du bien, et que, s’il est louable de vouloir bien faire, il faut bien commencer quelque part pour espérer, peut-être, y parvenir un jour.
Si vous vous y sentez prêt·es, tendez l’oreille, ouvrez l’oeil, brisez le silence. Vous n’êtes pas qu’une goutte. Nous sommes l’océan.