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Photo de Katie Moum sur Unsplash

Et la bienveillance alors?

« Je vous reçois, au cabinet ou en visio, dans une posture d’écoute bienveillante et d’accueil inconditionnel. Â»

Pourquoi ce type de phrases me fait sourire ? Parce que c’est une lapalissade, et qu’à chaque fois que je lis ça je n’arrive pas Ă  m’empĂŞcher de me dire « Merci Captain Obvious ! Â»

Pourtant, j’ai moi aussi, dans mon parcours personnel, croisé des professionnels de l’accompagnement auprès desquel·les je me suis sentie jugée, parfois même malmenée, et je comprends donc que ça puisse être une crainte lorsqu’on cherche un·e accompagnant·e.

Toutefois, je ne me reconnais pas dans la posture de celle qui se sentirait mieux de le verbaliser. D’une part parce que, comme je l’ai dit plus haut, je me serais mal vue opter pour un métier de relation d’aide sans que ce positionnement de valeurs ne me semble évident.

Ensuite, parce que tout le monde peut se dire bienveillant. Ça ne prouve rien. Vous aurez toujours à vous assurer que le ramage est à la hauteur du plumage.

Et puis, c’est quoi la bienveillance ? Est-ce qu’on en a toustes la mĂŞme conception ? J’en doute.

Selon Le Larousse, il s’agit d’une « disposition d’esprit inclinant Ă  la comprĂ©hension, Ă  l’indulgence envers autrui Â»

Une fois encore, ça me semble être un pré-requis de base, pas un positionnement individuel.

La bienveillance, qu’est-ce que c’est pour moi ?

Ce que je recherche, lorsque je me fais accompagner, c’est la bienveillance de l’intention, plus que celle des actes.

On peut se travestir, on peut mettre du miel sur ses paroles, et ne pas être dans l’intention sincère d’accueillir ce qui vient et d’aider la personne à avancer. Et c’est, à mon sens, un peu le risque à trop mettre le focus sur la volonté affichée d’être un·e accompagnant·e bienveillant·e.

Bien Ă©videmment ce n’est pas toujours le cas (je vois d’ici les regards outrĂ©s de mes collègues, Ă  qui je rappelle que nous sommes gĂ©nĂ©ralement formĂ©s Ă  lutter contre les gĂ©nĂ©ralisations…)

On peut mettre en lumière les zones d’ombre, braquer le projecteur sur ce que l’autre ne veut ou ne sait pas voir seul·e, placer la personne face à ses incohérences et ses contradictions, et sembler parfois peu tendre, en ayant sincèrement l’intention de permettre à celleux qu’on accompagne d’avancer.

Ă€ titre personnel, je prĂ©fère très largement la seconde option. Et je sais que, parfois, ça va piquer. Pas toujours, mais Ă§a arrive, et si ça fait partie du chemin Ă  ce moment lĂ , j’estime que c’est le job de la personne qui m’accompagne de me mettre face Ă  cela.

La thérapie, ce n’est pas le monde des Bisounours. Je ne dis pas non plus que c’est nécessairement confrontant ou que ça doit passer par la souffrance, attention. Là encore, je crois sincèrement que quand on a l’intention de faire le mieux pour la personne qu’on reçoit, on est en capacité de créer l’espace de sécurité nécessaire pour qu’elle puisse aller là où elle doit aller travailler sans ajouter à ses difficultés ou ses souffrances actuelles.

Ce que je dis en revanche, c’est que quand je paye un·e thĂ©rapeute, ce n’est pas pour ressortir avec les mĂŞmes bĂ©nĂ©fices qu’après un cafĂ© avec des potes. Sinon, bah…j’ai des potes pour ça (et la facture n’est pas la mĂŞme).

Alors oui, parfois, on est amené·es à ne pas être gentil·les. Parfois on va déclencher des émotions fortes en séance. Ça ne devrait pas nous faire peur, à nous praticien·nes, parce qu’on sait qu’on a les compétences pour en faire un levier d’évolution pour la personne en face de nous.

Pourtant, je vois souvent en supervision des collègues qui ne veulent pas aller sur ce terrain lĂ , de peur de ne plus ĂŞtre considĂ©ré·es comme « bienveillant·e Â», alors que les leviers Ă©motionnels sont les plus puissants pour vous aider Ă  avancer, en particulier en hypnose.

La bienveillance privilégiée.

On peut également heurter les personnes qu’on accompagne, parfois sans le vouloir.

Pourtant, j’ai un peu de mal à mettre ça uniquement sur le compte de la maladresse, et là encore, j’y vois une limite de la bienveillance coeurscoeurs-paillettes-licornes.

Non, je ne reçois pas toutes les personnes sans différenciation.

Cette posture, c’est pour moi une négation des oppressions que subissent bon nombre de personnes, et un confort personnel à ne pas regarder ses propres privilèges en face.

Lorsque je reçois une personne racisĂ©e, je ne prĂ©tends pas « ne pas voir les couleurs Â»(entendu rĂ©cemment encore, j’ai levĂ© les yeux au ciel si fort que j’ai vu mon cerveau…).

Lorsque je reçois une personne en situation d’obésité, je ne fais pas comme si ça ne changeait rien à son quotidien.

Un couple queer venant me voir parce que traversant des tensions liées à un parcours PMA ne fera pas face aux mêmes difficultés dans ce parcours qu’un couple hétérosexuel. Il y aura des spécificités.

Une fois encore, je ne dis pas que j’en fais un problème s’il s’avère que ça n’en est pas un pour la/les personnes que j’accompagne. Ce n’est pas à moi de définir cela.

En revanche, je ne prends pas à mon compte cette posture de déni des différences sous couvert de bienveillance.

Je suis plutĂ´t du genre « Venez comme vous ĂŞtes Â». Oui, je sais, c’est dĂ©jĂ  pris , mais je m’en moque.

Venez comme vous êtes. Avec vos particularités, avec vos difficultés, avec le bazar qui règne peut-être dans votre tête et vos émotions. Mon job, c’est de vous aider à retrouver la liberté de choisir quoi en faire, pas de vous dire que tout va bien. C’est de vous redonner du pouvoir, pas de vous brosser dans le sens du poil.

Ce serait bien évidemment assez facile pour moi, femme blanche cisgenre hétérosexuelle ayant fait des études supérieures de ne voir les choses que par le bout de ma lorgnette. Et il m’arrive forcément de le faire, parce que je vis avec ces privilèges, qu’il y a des oppressions que je n’ai jamais eu à subir, que je ne peux pas comprendre et que j’ai internalisées.

C’est pour cela que je fais le choix de questionner, de parler de ces sujets en séances. Sans insister s’il s’avère que ça n’est pas une problématique pour la/les personnes en face de moi.

Égoïstement peut-être, cela me permet de continuer à déconstruire des schémas qui pourraient limiter ma perception des situations auxquelles font face les personnes que j’accompagne.

C’est parfois aussi accepter d’être mise face au travail que j’ai encore à faire pour créer un espace d’accueil le plus « safe » possible, au fait que je peux parfois moi-même véhiculer ces oppressions.

C’est accepter qu’on m’enseigne à porter mon attention là où il serait facile pour moi de ne pas regarder.

Lorsque j’étais enseignante, il y a avait une citation que je me rĂ©pĂ©tais souvent : « When one teaches, two learn Â» (Lorsqu’une personne enseigne, deux apprennent )

Je crois aussi à cette réciprocité dans l’accompagnement.

Non pas que le/la thérapeute doive apaiser ses propres blessures en séance (et je n’insisterai jamais assez sur l’absolue nécessité d’être soi-même accompagné·e et supervisé·e lorsqu’on fait ces métiers)

Mais j’apprends chaque jour des personnes que j’accompagne, tout comme j’ai appris pendant 20 ans de mes élèves.

La bienveillance pour moi c’est aussi de dire que je ne sais pas tout. J’apporte des outils, des techniques, des compétences, un regard différent sur les situations que vous vivez. Je ne peux pas prétendre la comprendre, parce que je ne saurai jamais la ressentir comme vous la ressentez.

Parfois, la bienveillance sera aussi de vous amener à voir qu’il y a une différence entre la situation telle que vous la vivez, votre ressenti, aussi légitime soit-il, et ce que peuvent en percevoir les autres. C’est notamment un axe de travail essentiel à mon sens dans la thérapie du couple et de la famille, mais aussi dans le travail sur les relations aux autres qu’on est souvent amenés à faire ensemble.

Le changement n’est jamais un processus linéaire. Votre rythme variera, vos besoins ne seront pas les mêmes à toutes les étapes, et je ne pourrai m’y adapter (tout en restant fidèle à celle que je suis) sans accepter d’être, parfois, dans le rôle de la méchante.

Parfois vous aurez envie de me dire merci, parfois vous aurez envie de me dire merde. Les deux ont autant de valeur Ă  mes yeux.

Les deux seront accueillis, dans l’écoute et la bienveillance (et parfois, vous l’aurez compris j’espère, avec un peu de second degrĂ©).

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