Je le répÚte ici: TW : cet article est susceptible de contenir des éléments pouvant réveiller des souvenirs traumatiques liés à un viol ou une agression sexuelle.
Il y a quelques jours, jâai assistĂ© Ă un Ă©change sur un rĂ©seau social qui mâa profondĂ©ment choquĂ©e.
Une jeune femme ayant subi un viol y témoignait de son expérience.
Tant quâon y est, petite prĂ©cision lexicale : je nâemploierai pas dans cet article les mots « un·e victime de viol/dâagression ». Ce qui a Ă©tĂ© subi nâest pas ce qui nous dĂ©finit.
Toutes mes excuses si les tournures de phrases vous semblent lourdes, mais ça sera toujours moins lourd de lire ça que de porter le poids de se voir réduit·e à un traumatisme, comme si, en plus de tout le reste, on se trouvait spolié·e de sa propre identité.
Mais revenons-en Ă nos moutons.
Cette personne apportait donc son tĂ©moignage, expliquant que, 10 ans aprĂšs avoir Ă©tĂ© violĂ©e, elle avait envie de partager avec dâautres son parcours de rĂ©silience. Elle y disait quâelle Ă©tait consciente que chaque chemin est diffĂ©rent, elle prenait beaucoup de prĂ©cautions pour bien retranscrire ses propos comme un tĂ©moignage, et non comme un conseil.
Elle disait quâelle Ă©tait consciente dâavoir Ă©tĂ©, malgrĂ© tout, chanceuse dans son malheur, quâelle avait Ă©tĂ© bien accompagnĂ©e par ses proches, moins par le systĂšme judiciaire, quâelle avait eu la chance de pouvoir ĂȘtre suivie par un psychologue gĂ©nial, spĂ©cialisĂ© dans lâaccompagnement des traumas de la sphĂšre intime, et que tout cela lui avait permis de travailler efficacement sur les Ă©motions et sentiments liĂ©s au viol, et de pouvoir sâautoriser Ă se rĂ©approprier son corps, notamment au travers de sa sexualitĂ©.
Et lĂ , ce fut le drame.
Certaines rĂ©actions ont Ă©tĂ© dâune violence qui mâa coupĂ© le souffle, en particulier un commentaire qui disait « Câest cool pour toi si tu as bien vĂ©cu ton viol, mais câest pas le cas de tout le monde ! » et un autre qui sous-entendait Ă mots Ă peine dĂ©guisĂ©s que si elle aimait encore le sexe, câest certainement quâelle avait pris plaisir Ă ce viol.
Je lâavoue, jâai senti monter en moi une rage assez impressionnante.
Jâavais envie de hurler, de pleurer, de partir vivre dans une yourte en Laponie sans accĂšs Ă internet.
Jâai Ă©galement eu envie un instant de rĂ©pondre sans filtrer ma colĂšre, mais je me suis retenue, jâai simplement rĂ©pondu Ă lâautrice du post afin de ne pas me faire la complice passive des propos Ă©crits en commentaire, puis jâai posĂ© mon tĂ©lĂ©phone et jâai pleurĂ©.
Seulement voilĂ , quelques jours plus tard, la colĂšre a bien du mal Ă redescendre, et bien Ă©videmment, ça mâinterpelle.
Pourquoi ça me fout en rogne à ce point ?
DĂ©jĂ , parce que je reconnais de mon propre parcours dans le tĂ©moignage de cette femme. Le sentiment dâinjustice face Ă certaines rĂ©ponses en est certainement dâautant plus exacerbĂ©.
Mais il nây a pas que ça.
Jâen ai ras le bol des injonctions faites aux femmes. Ăa fait partie de mes moteurs de lutter contre ça, et pas seulement celles faites aux femmes en rĂ©alitĂ©, mais plus largement celles faites aux individus en fonction de stĂ©rĂ©otypes de genre.
« Allez, essuie tes larmes, sois un homme » mâagace tout autant que « ArrĂȘte de pleurer comme une fillette ». Deux maniĂšres de dire la mĂȘme chose, deux maniĂšres dâimposer un rapport aux Ă©motions en fonction dâĂ©lĂ©ments qui nâont rien Ă voir avec elles (spoiler alert : je ne pleure pas avec mes ovaires, pas plus que mes fils ne pleurent avec leur prostate)
Et mĂȘme face au traumatisme du viol, on doit faire face aux injonctions. Mais lĂąchez-nous enfin!
Giulia FoĂŻs le dĂ©crit bien mieux que moi dans son livre « Je suis une sur deux » (Ă©ditions Flammarion) : la sociĂ©tĂ© a des attentes en matiĂšre de viol et dâagression sexuelle.
Il faut que lâagresseur ne ressemble pas trop au voisin dâĂ cĂŽtĂ©, sinon câest trop flippant. Sâil a lâair patibulaire et coche bien toutes les cases des prĂ©jugĂ©s sociĂ©taux, les chances de le voir condamnĂ© sont plus importantes. Câest votre patron, votre mari, votre prof de yoga ? Mauvaise pioche…
Il faut que lâagression se produise dans une ruelle sombre dâun quartier mal famĂ© au milieu de la nuit. Manquerait plus quâon puisse se faire agresser dans les beaux quartiers parisiens en allant prendre des cours de thĂ©Ăątre ! Oh, wait…
Et bien entendu, il faut que la personne Ă qui lâon impose ce viol se conforme Ă un certain nombre de projections.
Si comme moi vous aimez vous Ă©nerver et que vous suivez certains hashtags sur Twitter, vous nâĂȘtes pas sans avoir en tĂȘte quelques exemples de tĂ©moignages de situations ubuesques vĂ©cues dans des commissariats ou des gendarmeries.
En 2022, on demande encore Ă une personne venant dĂ©poser plainte pour viol ou agression sexuelle ce quâelle portait, si elle avait bu, si elle a dit non, si elle a criĂ©, si elle sâest dĂ©battue, et jâen passe.
Si la personne venant dĂ©poser plainte est un homme, il ne sera pas plus Ă lâabri des quolibets de la populace et du systĂšme judiciaire. Les stĂ©rĂ©otypes de genre ont la vie dure, et il semblerait quâils se dĂ©veloppent particuliĂšrement bien en milieu aride, loin de toute matiĂšre grise.
La mĂ©connaissance des mĂ©canismes de sidĂ©ration par des professionnels dont câest a priori le quotidien de recueillir la parole et les tĂ©moignages, câest quand mĂȘme assez hallucinant.
Les jugements de valeurs portĂ©es sur les personnes ayant subi un acte criminel, comme si une tenue ou deux verres de vin pouvaient dĂ©douaner un tant soit peu lâagresseur, ça devrait ĂȘtre dâun autre Ăąge .
Sauf que…ça ne lâest pas. Ni au moment du dĂ©pĂŽt de plainte, ni au moment du procĂšs, ni 10 ans plus tard si vous voulez apporter un message dâespoir Ă dâautres.
Une personne ayant subi un viol nâa manifestement pas le droit dâaller mieux. Elle doit rester marquĂ©e Ă vie, et ça doit se voir ! Elle nâest pas autorisĂ©e Ă reprendre le contrĂŽle de sa vie, Ă goĂ»ter de nouveau aux plaisirs que peut lui prodiguer son corps, de retrouver une vie sentimentale et/ou sexuelle choisie et Ă©panouie.
Sinon, elle nâest plus « une victime », que dis-je, « une vraie victime », voire mĂȘme « une bonne victime ». Sinon, câest quâelle a trop « bien vĂ©cu » son viol.
Câest bien connu non ? Il y a des gens qui le vivent bien, et des gens qui le vivent comme il faut. Mais oui mais câest bien sĂ»r ! OĂč avions-nous la tĂȘte ?
MĂȘme quand on a Ă©tĂ© violé·e, on se retrouve Ă devoir rentrer dans des cases. On se fait voler son droit Ă son propre processus de reconstruction .
Vous avez aimĂ© devoir ĂȘtre un bon enfant ? Un bon frĂšre, une bonne sĆur, un·e bonne ami·e, un·e bonne conjoint·e, un·e bonne professionnel·le, un bon parent ? Retrouvez-nous pour la saison 7 : « Soyez une bonne victime ! »
Câest une des raisons pour lesquelles je nâaime pas employer ce terme. Il enferme, il gĂ©nĂ©ralise.
Or, il y a autant dâexpĂ©riences quâil y a dâĂ©vĂšnements.
Chacun·e rĂ©agira diffĂ©remment, selon son histoire, ses ressources, son environnement, et tant dâautres facteurs.
Chacun·e fera comme iel pourra pour faire face, pour survivre, pour revivre, un pas Ă la fois, un jour aprĂšs lâautre. Certain·e·s montreront plus ce quâiels traversent, dâautres moins.
Certain·e·s dĂ©velopperont des symptĂŽmes de choc post-traumatique, dâautres non. Certain·e·s iront consulter un·e psychiatre, un·e psychologue, dâautres se tourneront vers des thĂ©rapies diffĂ©rentes, comme lâhypnose, la sophrologie ou les soins Ă©nergĂ©tiques, dâautres encore trouveront soutien et assistance auprĂšs dâassociations, de cercles de parole.
Dâautres nâauront accĂšs Ă rien de tout cela, et chercheront parfois refuge dans lâoubli, ou juste comme iels le pourront.
Il nây a pas de « Manuel de survie Ă lâusage des victimes de violences sexuelles. »
Il nây a pas de bonne ou de mauvaise maniĂšre de faire face Ă la situation.
ON FAIT CE QUâON PEUT !
Si vous ressentez le besoin de vous rĂ©approprier votre corps Ă travers votre sexualitĂ©, câest votre droit. Si vous voulez le faire Ă travers le sport, la danse, la pleine conscience, faites-le ! Si vous nâen ĂȘtes pas lĂ , câest ok.
Si vous avez besoin dâĂȘtre accompagné·e psychologiquement avant dâen arriver Ă cette Ă©tape, câest normal. Si vous avez peur de le faire, c’est lĂ©gitime.
Il existe de nombreuses associations, au niveau national mais aussi au niveau local, capables de vous orienter vers des professionnels de lâaccompagnement , mĂȘme si vous ĂȘtes en situation de prĂ©caritĂ© financiĂšre. NâhĂ©sitez pas Ă les contacter.
Vous pouvez Ă©galement contacter lâassociation SolidaritĂ© Femmes au 3919 (appel anonyme et gratuit).
Vous nâĂȘtes pas seul·e. Je ne peux pas vous promettre que vous nâallez tomber que sur des gens supers dans votre parcours.
Jâaimerais pouvoir, croyez-le…mais je nâaime pas mentir. Toutefois, plus vous demanderez de lâaide, plus vous aurez de chance dâen obtenir, et plus vous aurez statistiquement de chances de tomber sur des gens qui vous seront dâune aide rĂ©elle. Et pour ça, ça vaut le coup.
Vous nâĂȘtes pas seul·e.