Préambule : Je parlerai ici des mères, des femmes, de la maternité, de manière générique, et pour des raisons de lisibilité, mais j’y inclus toutes les personnes ayant porté un enfant, quelle que soit leur identité de genre. Certaines personnes n’ayant pas porté d’enfant mais étant parents s’y retrouveront peut-être aussi. Soyez toustes les bienvenu·e·s.
Il est des injonctions qui pèsent particulièrement lourd.
Il est des injonctions contre lesquelles il est particulièrement mal vu de s’insurger.
Parmi celles-ci, il y a celle de la maternité, et au-delà de ça, du bonheur qu’elle devrait forcément entraîner.
Il est communément admis, dans notre société patriarcale, que les personnes qui sont en capacité de faire des enfants devraient, de fait, en avoir envie.
Ce n’est que très récemment que des personnes, des couples, sont parvenus à exprimer haut et fort leur absence d’intérêt envers la parentalité. Pour des raisons diverses et variées, dont je ne discuterai pas ici pour une raison bien simple : aucune ne me regarde.
Et dans l’absolu, ces raisons ne regardent personne d’autre que celleux qui choisissent de ne pas devenir parents.
Pourtant, tout le monde y va de sa petite remarque, de la Tante Yvonne qui s’emballe que les femmes de maintenant se comportent comme des égoïstes, tandis que Tonton Henri vous sourit comme si vous étiez une enfant capricieuse en vous assurant que vous changerez d’avis quand votre horloge biologique s’affolera, en passant par la copine bien intentionnée qui vous regarde d’un air entendu pendant que vous avez son bébé dans les bras en disant : « Ça ne te fait pas un peu envie quand même, avoue ? » (va lui dire que non, pas vraiment, merci mais non merci, sans la vexer…bon courage).
Sans parler de la pression des parents, qui peinent parfois à accepter qu’ils ne seront pas grands-parents, que leur bébé n’aura pas de bébé, ne perpétuera pas la lignée.
On est déjà sur un niveau de tabou assez élevé.
Mais comme on est des fifous, on va se tenter un petit « level up ».
Parce que oui, il y a pire que de ne pas vouloir d’enfants.
Il y a le fait d’en avoir et de le regretter.
On atteint là les couches stratosphériques du ban de la société. La honte absolue.
Et pourtant…le regret maternel est une réalité.
Toutes les mères ne vivent pas cette expérience comme un épanouissement, un accomplissement, une plénitude.
Pour nombre d’entre elles, devenir mère n’a rien eu de tout cela.
Devenir mère peut s’avérer plus proche de l’ouverture de la boîte de Pandore que de la découverte du pays des merveilles.
N’aiment-elles donc pas leur progéniture ? Si si.
Ce ne sont pas leurs enfants qu’elles n’aiment pas, mais la maternité.
La responsabilité, les obligations, la perte de liberté, d’une certaine forme d’insouciance, ce lien indéfectible qui est parfois ressenti comme un piège, une prison, une forme d’aliénation.
Et non, il ne suffit pas d’asséner un : « Elles ont eu le choix quand même, elles savaient ce qu’elles faisaient ! »
Bah non Gertrude, on ne sait pas, avant de le vivre, ce que ça va représenter.
Et parfois même, ce n’est pas tout de suite qu’on le ressent, ce regret, pas au premier enfant, pas tant qu’on est à deux, etc.
L’accès à la contraception et à l’IVG a renforcé cette idée que toutes les grossesses étaient désirés, ce qui n’a fait que renforcer l’injonction au bonheur et à la satisfaction d’être mère.
Il n’y a pas de situation type, pas de prédisposition particulière, pas de préméditation inconsidérée. Non…Il n’y a pas de profil pré-établi de ces femmes qui seront marquées, si elles osent parler, du sceau de l’infamie.
Non, elles n’ont pas fait exprès. Non, elles ne sont pas de mauvaises mères. Non, elles ne se soustraient pas à leurs obligations.
Je me souviens de ce que j’ai ressenti à la naissance de mon premier enfant, à l’instant où ses grands yeux bleus se sont ouverts et sont venus se planter dans les miens.
Cet amour tellement grand que je n’étais pas certaine de pouvoir le contenir, ce lien d’une puissance indescriptible. Et la peur. La peur panique de ce lien. La peur de me dire que s’il arrivait quelque chose à ce petit être de quelques instants à peine posé sur moi, j’en perdrais probablement la raison.
Je n’ai pas aimé cette sensation. Je n’ai pas su comment en parler. Je me sentais le devoir de présenter à la face du monde le sourire béat de la jeune mère comblée par son nouveau statut. Je sentais bien que c’était ce qu’on attendait de moi.
J’ai d’ailleurs énormément investi mon rôle maternel. J’ai adoré le grande majorité des moments passés avec mon fils. Mais sans jamais me départir de cette crainte sourde, de cette petite voix me répétant : « Mais qu’est-ce que tu as fais ? »
J’ai d’ailleurs laissé passer du temps avant de décider d’avoir un second enfant.
Oui, parfois, comme je le disais plus tôt, on ne parvient pas à identifier ce qu’on ressent comme étant du regret maternel dès l’arrivée de son premier enfant.
Pourquoi ? La première raison, à mon sens, c’est qu’on peut difficilement en parler.
J’avais essayé de verbaliser ces sentiments antagonistes que je peinais à identifier auprès de ma gynécologue.
Sa réponse avait été sans appel : « Vous voyez ça ? (me montrant une pile de dossiers derrière son bureau). C’est la liste de mes patientes qui n’arrivent pas à tomber enceinte. Vous avez de la chance, profitez-en. »
Bam, sentence sans appel. Fermez-la et estimez vous heureuse.
Je suis bien consciente à quel point ces propos peuvent heurter des personnes qui tentent en vain d’avoir un enfant. Enfin non, je n’en ai aucunement conscience, mais je n’y suis pas indifférente.
Je pense toutefois qu’on a rien à gagner à opposer nos douleurs.
J’ai échangé dernièrement avec une femme, que j’appellerai ici Jeanne (à sa demande), et qui m’a très gentiment autorisée à partager une partie de nos échanges dans cet article. Je l’en remercie infiniment, parce que son parcours est particulièrement parlant.
Elle aura bien évidemment relu cet article avant sa publication.
Je me souviens de son soulagement lorsque, la sentant hésitante à partager ses émotions autour de la parentalité, j’ai moi-même évoqué le regret maternel. De ses larmes silencieuses, de son sourire doux, et de sa réponse, d’une toute petite voix : « J’ai toujours pensé que je n’avais pas le droit de dire ça.»
Jeanne m’a raconté son long parcours pour devenir mère.
Les longs mois d’essais infructueux, les examens médicaux, l’angoisse des résultats, le diagnostic d’endométriose chez elle, et d’asthénospermie chez son mari.
Le parcours PMA, les deux fausses-couches précoces, la fausse-couche tardive.
Et puis l’arrivée d’une petite fille en pleine santé.
Jeanne me raconte ne pas avoir pu allaiter. « La mettre au sein me révulsait tellement que j’avais envie de la pousser loin de moi. Je croyais que je devenais folle, que j’étais la pire mère du monde, que c’était pour ça que la nature m’avait mis autant de bâtons dans les roues, que j’aurais dû le comprendre et ne pas m’entêter. Et pourtant je ressentais énormément d’amour envers elle. J’étais comme déchirée en dedans.»
Elle a essayé d’en parler elle aussi, aux sages-femmes de la maternité, puis à la PMI. On lui a dit que c’était la fatigue, une période d’ajustement, que ça allait passer.
Elle a essayé d’en parler à son mari aussi. Sa réaction a été très difficile.
« Il m’a regardé longuement, j’ai vu son visage devenir dur, et il m’a dit : « on a fait tout ça pour avoir un enfant et maintenant tu me dis que tu ne l’aimes pas, c’est ça ? »
Non, ce n’était pas ça du tout, mais je ne savais pas comment lui expliquer, et je crois que lui n’était pas disponible pour comprendre. C’était dur pour lui aussi je crois, mais on n’en parlait pas »
« Ça n’est jamais passé. J’aime ma fille plus que tout. Je suis incroyablement fière d’elle, c’est aujourd’hui une jeune femme admirable, forte, douce, généreuse, intelligente, belle. Je suis heureuse qu’elle soit au monde, elle le rend plus beau, vraiment. Mais si ce n’était que moi, et que c’était à refaire, non, je n’aurais pas d’enfant . Etre mère, ce n’était pas pour moi. Je sais, c’est horrible de dire ça, hein ? »
On ne choisit pas de ressentir ce genre de choses. On n’est pas une personne horrible, ni une mauvaise mère, parce qu’on n’aime pas la maternité. On ne choisit pas de se sentir coupable, honteuse, seule. On ne choisit pas de devoir se taire ou subir les regards outrés de son entourage et de la société.
Des voix se sont élevées, ces dernières années, pour briser ce tabou, et je les en remercie.
Voici quelques ressources si vous souhaitez mieux comprendre ce sujet :
Orna Donath, Le regret d’être mère (éd. Odile Jacob, 2019)
Stéphanie Thomas, Mal de mères (éd. JC Lattès, 2021)
Astrid Hurault De Ligny, Le regret maternel (éd. Larousse, 2022) Vous pouvez aussi aller voir son compte instagram @le_regret_maternel
Merci également à Jeanne de m’avoir encouragée à rédiger cet article auquel je pensais depuis longtemps.
Vous avez raison, « plus on en parle, moins elles se tairont, peut-être…» En tout cas, ça vaut le coup d’essayer.