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Photo de Matt Collamer sur Unsplash

C’est pas si grave!

« C’est pas si grave »

« Je sais qu’il y a pire »

« C’est ridicule, je sais »

Ces phrases, je les entends souvent, en particulier en première séance, lorsque les gens me parlent de ce qui les amènent vers moi.

Il y a certainement tout un ensemble de facteurs qui les poussent à minimiser leur souffrance.

Parfois, iels pensent que ça les rassure. Il y a une forme de méthode Coué à se dire que c’est pas si grave, qu’au fond ça va quand même pas si mal.

Le hic, c’est que leur ressenti ne coïncide pas avec cette évaluation mentale de la situation.

Et iels se retrouvent tiraillé·e·s entre les messages émotionnels et les tentatives de rationalisation de leur intellect : « Je ne devrais pas me sentir aussi mal, pourtant je me sens mal. C’est moi le problème ? »

Parfois, ce discours est celui qui est tenu par des proches généralement bien intentionnés.

« Tu sais, c’est pas si grave ce licenciement. Moi je connais quelqu’un à qui on vient de diagnostiquer un cancer ! »

« Regarde un peu le bon côté des choses, ça te fera du bien .»

« T’as tout pour être heureux, qu’est-ce que tu veux de plus ? »

(propos recueillis en séance)

Oui, le regard qu’on porte sur les évènements joue un rôle important dans notre capacité à y faire face.

Oui, il y a toujours pire si on cherche bien.

Mais ça n’aide pas d’entendre ce genre de choses.

Qu’est-ce que vous pouvez dire à la place ?

« De quoi as-tu besoin ? »

« Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? »

« Si tu as besoin d’en parler, ou de ne pas en parler, je suis là . »

« Tu as bien fait de m’en parler, merci de ta confiance »

La liste est loin d’être exhaustive, mais vous aurez compris l’idée sous-jacente.

On a trop tendance à proposer des conseils. Parfois, c’est ce que les gens viennent chercher auprès de nous, mais pas toujours.

Parfois, iels ont juste besoin d’une présence, d’une écoute, d’un lien humain qui les réchauffent et les rassurent.

On ne peut pas toujours chasser le mal-être, et je ne pense d’ailleurs pas que ce soit la meilleure chose à faire. Mais soyons honnêtes, ça fait moins peur que de l’accueillir.

Si le mal-être est là, c’est qu’il cherche à répondre à un besoin qui n’a pas été entendu, ou bien que le contexte est difficile pour la personne qui le vit (peu importe la manière dont on peut en juger de l’extérieur).

Il ne partira pas par magie parce qu’on va l’ignorer, ou parce qu’on va faire une séance de visualisation où on souffle sur le nuage des émotions, comme on peut parfois le voir.

Aucun ciel n’est bleu tout le temps. Les nuages ça va, ça vient.

A contrario, aucune tempête ne dure toujours.

Mais on ne peut pas contrôler le ciel, pas plus qu’on ne peut « gérer ses émotions » en les enfermant à double tour.

Je ne jette pas la pierre à celles et ceux qui tentent, d’autant plus que j’ai moi-même opté pour cette non-solution pendant des années.

Alors si, à la lecture de cet article, vous vous dites que je raconte des conneries, que c’est juste pour attirer des clients, vous en avez parfaitement le droit.

Il n’y a pas de vérité absolue, et je n’ai pas l’intention de chercher à vous convaincre que vous avez tort. Vous n’avez pas tort, vous avez votre perception, qui est tout aussi légitime que la mienne.

En parlant de perception, n’oublions pas de mentionner l’attitude face à la santé mentale qui est véhiculée par notre société.

Les maux physiques sont nobles. On les plaint. Si vous vous cassez une jambe, personne ne va vous dire d’aller courir pour aller mieux.

Montrez des signes de dépression, et tout le monde ira de son petit conseil pour vous guérir. Et vite tant qu’à faire, des fois que ça soit contagieux.

Le deuil ? Un peu plus acceptable socialement, mais « il faut aller de l’avant maintenant », tout de même.

Des crises d’angoisse ? Un truc d’hystériques ça, non ?

Anxiété ? C’est pour les esprits faibles, il n’y a qu’à voir le verre à moitié plein.

Harcèlement ? Il suffit de s’affirmer ! C’est quand même toujours les mêmes qui se plaignent.

Il y a fort longtemps, j’ai lu un conte dont je ne parviens plus à retrouver la provenance (si vous avez l’info je suis preneuse), mais que je vais vous résumer ici.

Il raconte l’histoire d’un village aux prises avec un monstre vivant dans la forêt avoisinante. Un monstre qui fait tellement peur que personne n’ose lui faire face ou le combattre, les plus chanceux parvenant à fuir jusqu’à l’orée de la forêt, hors de laquelle le monstre ne s’aventure pas. Je vous laisse deviner le sort des moins chanceux.

Personne n’est capable de le décrire, mais la légende dit que sa simple vue suffit à vous faire mourir de terreur.

Le souci, c’est que les villageois n’ont pas d’autre choix que de traverser la forêt pour aller puiser l’eau nécessaire à leur survie.

Les jeunes garçons du village ont pris l’habitude de se lancer des défis, sorte de rite initiatique de sortie de l’enfance. Devenir un homme, c’est aller à la rencontre du monstre.

Jusqu’au jour où l’un de ces jeunes gens, fuyant à toutes jambes le monstre affamé, trébuche et tombe de tout son long.

Sachant son heure venue, il décide de mourir avec dignité, et se retourne pour regarder le monstre en face.

Celui-ci, voyant son propre reflet dans les yeux du jeune garçon, prend tellement peur qu’il fuit et ne revient plus jamais.

Je crois que chacun·e fait ce qu’iel peut, plus que ce qu’iel veut, face à ses monstres.

Est-ce que ce jeune garçon aurait regardé le monstre en face s’il n’avait pas pensé qu’il n’avait plus rien à perdre ?

Est-ce que tous les villageois qui ont fuit n’ont pas, au moins momentanément, assuré leur survie de leur mieux ?

Il n’y a jamais qu’une seule vérité dans l’expérience humaine.

Alors remettons l’église au centre du village, si vous le voulez bien.

Chacun·e a le droit d’aller mal, tout autant que d’aller bien.

Ce n’est pas parce que votre grand-mère est décédée à 96 ans et que « c’est dans l’ordre des choses » que vous devez « faire votre deuil » en deux semaines pour ne pas « plomber l’ambiance au boulot » (là encore, propos recueillis en séance, la bienveillance de certains employeurs me laisse toujours admirative)

Ce n’est pas parce que vous connaissez des personnes qui ont vécu des traumas qui vous semblent plus importants que les vôtres que votre ressenti n’est pas légitime.

Ce n’est pas parce qu’il y a pire que vous devez vous plaquer un sourire de façade sur le visage et ignorer vos besoins.

Ce n’est pas parce que « vous avez tout pour être heureux » que vous avez obligation de l’être.

Ce n’est pas parce que vous décidez de vous faire aider que vous n’êtes pas assez fort pour vous en sortir seul·e.

Ce n’est pas parce que vous décidez de ne pas vous faire aider que vous ne voulez pas vous en sortir.

Ce n’est pas parce que vous n’avez pas lu 563 livres de développement personnel que vous êtes un être sous-évolué sur l’échelle de mesure de la meilleure version de vous-même.

Ce n’est pas parce que vous n’avez aucune envie d’aller rencontrer votre enfant intérieur que vous n’avez rien compris à la vie.

Faites ce qui vous semble le mieux pour vous à cet instant avec les moyens que vous avez.

Accordez-vous le droit de réévaluer l’itinéraire, de changer de course, de modifier le cap, d’ajuster les voiles et la vitesse.

Et si vous vous retrouvez dans la tempête, la fusée de détresse est dans votre poche. Au cas où…

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