Faire face à la mort d’un être cher est une épreuve difficile et douloureuse.
Accompagner son/ses enfant·s dans ce cheminement est un exercice d’équilibriste permanent.
Expliquer, mettre des mots (lesquels ? Quand ? Comment? Dois-je utiliser les mêmes mots pour mon enfant de 7 ans, celui de 9 ans, celui de 13 ans ?), accueillir les émotions, répondre aux questions, apaiser la souffrance, aider son enfant à traverser cette période, alors qu’on est soi-même parfois complètement perdu·e, n’est pas une mince affaire.
Je vous préviens tout de suite, je n’ai pas de recette miracle à vous donner dans cet article. Il n’y en a pas. Croyez bien que j’ai cherché dans tous les recoins quand j’ai été confrontée à cette situation.
Bah, j’ai pas trouvé.
Chaque personne vit le deuil différemment. Il n’y a pas de mode d’emploi pour le deuil ou la mort, pas plus qu’il n’y en a pour la vie.
On n’est pas dans la même configuration quand on doit expliquer à son enfant la mort d’un arrière grand-parent ou celle de l’un de ses parents, ou d’un frère ou d’une sœur.
On n’est pas dans la même situation quand la mort survient à la suite d’une longue maladie, d’un accident, ou d’un suicide.
On n’a pas les mêmes outils pour accompagner ses enfants selon son propre ressenti face au deuil.
Bref, vous avez compris, pas de mode d’emploi.
Je n’aime pas trop l’idée d’apporter des conseils, non plus.
Pour les mêmes raisons que celles citées ci-dessus.
Disons que j’ai envie de partager mon expérience et les enseignements que j’ai pu en tirer. Peut-être que certaines des leçons que j’ai apprises vous seront utiles, peut-être pas.
N’y voyez aucune forme d’injonction, je n’ai pas la prétention d’avoir mieux fait que qui que ce soit. J’ai fait ce que j’ai pu avec ce qui était à ma portée sur le moment. Je continue encore ce cheminement aujourd’hui, je tatonne encore parfois, et c’est parfaitement ok.
Prenez ce que vous avez à prendre, laissez le reste. Faites ce qui vous semble bon pour vous et vos enfants. Soyez doux avec vous-même.
Ce que je referais de la même manière :
– offrir à chacun un espace de parole qui lui est propre, sur la mort en elle-même comme sur ce qui a précédé. Mes fils avaient 13 ans et 6 ans 1/2 à la mort de leur père. Autant vous dire qu’ils n’ont pas vécu les choses à travers le même prisme du tout.
Chaque enfant vivra les évènements à sa manière. Parfois les émotions de l’un viendront faire écho à celles de l’autre, parfois ce sera plus confrontant parce qu’ils n’en seront pas du tout au même stade. Ce qui me mène au point suivant…
– accueillir toutes les émotions, sans chercher à filtrer. Oui, il est normal de ressentir de la tristesse, mais aussi de la colère, de la culpabilité, et même du soulagement.
Ces émotions peuvent être très difficiles à accueillir pour l’enfant (on peut se sentir coupable d’en vouloir à la personne décédée par exemple), et très difficile à recevoir pour les proches.
Toutes les émotions sont valides, ni les enfants ni les adultes ne peuvent les contrôler ou décider d’en chasser une partie. En revanche, un enfant qui ressent que son émotion n’est pas accueillie aura tendance à la passer sous silence.
La mort est parfois le point final d’une situation difficile, voire traumatique, qui perdure depuis des mois (maladie physique, dépression…)
Un enfant qui se sent soulagé parce qu’un proche est décédé après une longue maladie et à qui on dit qu’il n’a pas le droit de dire ça, que ce n’est pas bien, va non seulement cesser de l’exprimer, mais va potentiellement considérer qu’il est mauvais parce qu’il ressent ce qu’il ressent, alors qu’il n’y peut rien.
Nous avons quasiment toustes été conditionné·es à classer les émotions en positives/négatives. Il peut y avoir également un conditionnement sur ce qui est socialement « acceptable » dans le cadre d’un deuil, et ce qui ne l’est pas, d’autant plus que dans ces moments là, tout le monde est pris dans sa propre tempête émotionnelle et essaye tant bien que mal de remettre un peu de sens là où il ne semble plus y en avoir.
– normaliser qu’on ne sait pas comment faire.
On apprend à vivre avec le deuil, et sans la personne décédée. Les enfants posent souvent plus facilement la question : « Comment on va faire maintenant ? »
J’ai toujours répondu que je ne savais pas, mais que j’étais persuadée qu’on allait trouver. Et je le pensais réellement.
Je ne pouvais pas expliquer à mes enfants comment vivre sans leur père. Il allait falloir apprendre, chaque jour.
Je ne savais pas vivre avec ce qui s’était passé. Je n’avais pas toutes les réponses (je ne les ai toujours pas d’ailleurs) et je me suis autorisée à le dire.
J’ai tenté d’expliquer qu’on allait reconstruire de nouveaux repères, et que ça prendrait peut-être du temps.
On a appris, et on apprend encore.
– demander/accepter de l’aide. Celle de professionnels, celle de proches, famille, amis, voisins…
Ne croyez pas que parce que vous ne savez pas quoi dire à une personne qui traverse un deuil, il vaut mieux ne rien dire/ne rien faire.
Parfois, un simple smiley reçu nous permet de nous sentir moins seul·e.
Une petite attention, une proposition d’emmener les enfants au parc pour quelques heures, un gâteau déposé devant la porte, un geste, un regard…ça peut changer la tonalité d’une journée entière.
– en parler ! Parler de la mort, mais aussi de la vie. Ne pas créer d’omerta ou de tabou autour du décès ou du proche décédé.
Poser les mots : il est mort, non il ne reviendra pas, non tu ne le verras plus jamais. Nommer le suicide. Demander à chacun ce que lui en comprenait, avec ses mots. J’ai fait le choix de ne pas laisser planer de doute, de ne pas utiliser de phrases comme « il est au ciel » ou « il est parti », qui à mon sens pouvait laissait place à interprétation.
La mort, l’absence, le manque, la souffrance, sont des réalités tangibles. Cette réalité, les adultes que nous sommes avons parfois peur de la regarder en face. La verbaliser, c’est la rendre encore plus concrète, encore plus réelle. On peut parfois se dire que c’est trop dur à entendre ou à comprendre pour nos enfants.
Je crois sincèrement qu’on se trompe (ou qu’on se rassure, et c’est bien naturel), et qu’il n’y a rien de plus compliqué pour l’enfant dans ses moments là que l’incertitude, qui génère encore plus d’insécurité.
– prendre le temps. Comme je le disais plus haut, on apprend, jour après jour, à vivre sans la personne. Pour l’enfant, cette personne a parfois fait partie de sa vie depuis sa naissance. Il est normal qu’il faille du temps pour s’adapter à ce changement. Il y aura probablement des cycles, des moments d’accalmie, et puis des dates anniversaire ou des moments de vie importants où le manque se fera davantage sentir.
Et l’enfant va grandir. Il se peut que des questions qui ne s’étaient pas posées pour lui ou elle au moment du décès surgissent des mois, voire des années plus tard. Ce n’est pas un retour en arrière, mais seulement une perception différente des évènements, de leurs conséquences, à mesure que l’enfant gagne en maturité.
– ne pas prendre les choses trop personnellement. Être le seul parent vivant, c’est un peu devenir le réceptacle de toutes les émotions de nos enfants. Parfois, ça peut donner l’impression de devenir le punching-ball émotionnel. J’ai essayé de me dire que c’était plutôt bon signe que ça sorte, et qu’au moins ça signifiait qu’ils se sentaient suffisament sécures à la maison pour exprimer, même maladroitement, ce qu’ils traversaient.
C’est probablement ce qui a été le plus difficile pour moi, pour plein de raisons.
Déjà parce que quand on se retrouve seul·e, on ne peut plus partager la responsabilité quand ça se passe mal. C’est un poids énorme à porter, surtout quand les circonstances sont aussi difficiles.
De surcroît, les enfants ne filtrent pas. Ils ont parfois des propos très violents, qui peuvent venir taper très fort sur nos propres insécurités. Ne pas tout prendre personnellement, sans pour autant refuser de se remettre en question, c’est un exercice qui m’a souvent donné l’impression de jongler avec des quilles en feu, le tout avec un bras dans le plâtre.
Avec quelques années de recul, je sais que c’était ce que je pouvais faire de mieux à ce moment là. Aujourd’hui, mon fils aîné est capable de verbaliser qu’il regrette certaines de ses paroles, et qu’il m’est reconnaissant d’avoir su les accepter, parce que même si au fond ça n’était pas à moi qu’il s’adressait, il avait besoin de les adresser à quelqu’un.
Ce que je ferais différemment :
– « fais ce que je dis mais pas ce que je fais » : j’ai beaucoup poussé mes enfants à parler de leurs ressentis. J’ai beaucoup verbalisé l’importance de les exprimer. Sauf que je n’ai pas montré l’exemple. Sur le moment, je n’ai pas voulu en rajouter à leur douleur. Je n’ai pas voulu qu’ils se sentent obligés de taire la leur pour me préserver.
C’est d’ailleurs un hypnothérapeute chez qui mon fils était allé qui m’avait mise face à cette incongruence et m’avait permis de réaliser que je pouvais donner l’impression à mes enfants de ne rien ressentir, ou du moins de ne rien laisser paraître.
J’ai pris une énorme claque ce jour là, mais ça a été une claque essentielle, et je l’en remercie.
Dans la même veine, j’ai mis de longs mois à me faire accompagner. J’ai très vite emmené mes enfants consulter, et il était financièrement impossible pour moi de faire face à 3 suivis.
Mais j’aurais pu me tourner vers des associations, des groupes de soutien et de parole, et je ne l’ai pas fait.
J’ai demandé de l’aide pour mes enfants, j’ai accepté l’aide qu’on me proposait, mais je n’en ai que trop peu demandé pour moi.
Comment j’accompagne le deuil des enfants en séance.
La première étape est celle de l’écoute.
Permettre à l’enfant de poser ses mots, ses questions, mais aussi tout le non verbal (posture, gestes, grimaces, regards, etc) , pour exprimer ce qu’il ressent, ce qu’il comprend ou ne comprend pas de ce qui se passe, est essentiel pour pouvoir ensuite lui proposer un accompagnement totalement personnalisé.
Ensuite, de nombreux outils peuvent servir de support.
J’aime beaucoup le livre « La traversée des pays du deuil » de Muriel Derome, illustré par Catherine Rebeyre, aux éditions deBoeck supérieur. Il m’arrive de m’en inspirer pour créer avec l’enfant ou l’ado sa propre carte pour naviguer les étapes de son deuil, au fur et à mesure de l’accompagnement.
Les outils de thérapie systémique permette aussi de travailler avec l’enfant sur la manière dont la famille va se réorganiser, comment la personne ne sera plus là mais fera toujours partie de la famille, comment intégrer son souvenir, ce qu’on veut garder de lui/d’elle, dans la famille qui reste.
C’est souvent là que surgit la peur d’oublier.
L’hypnose est alors un merveilleux outil pour se créer un lieu où placer tous les meilleurs souvenirs, et se rassurer sur sa capacité à les conserver, à les retrouver quand on en a besoin.
L’hypnose permet également d’accueillir les émotions,de les trier, de canaliser leur intensité en apprenant à écouter leurs messages, sans jugement.
En prenant le temps.
En acceptant tout ce qui vient.
Pour s’approprier ce qu’on a vécu, ce qu’on vit, et ce qu’on va pouvoir en faire.
S’autoriser à vivre son deuil pour s’autoriser à continuer de vivre sa vie.
Quelques lectures qui peuvent vous être utiles:
« Le pays du silence » de Jina Moon
« La porte des pluies » de Jérémy Semet
« L’arbre et l’ombre de la Lune » de Hélène Romano