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On lâche la pression sur la dépression!

Bouge-toi un peu, sors de chez toi, tu verras ça ira mieux!

Tu ne vas pas rester comme ça, c’est juste une question de volonté tu sais

« T’inquiète, je sais ce que c’est, moi aussi ça m’arrive de déprimer, c’est pas si grave »

« Tu as pourtant tout pour être heureux »

« Il y a pire dans la vie, tout le monde a des problèmes »

J’arrête là la liste, évidemment non exhaustive, des phrases qu’on peut s’entendre dire lorsqu’on souffre de dépression .

En mai 2020, 13,5 % des personnes âgées de 15 ans ou plus vivant en France déclaraient des symptômes évocateurs d’un état dépressif (soit une hausse de 2,5 points par rapport à 2019), avec des prévalences plus marquées chez les femmes et les moins de 44 ans, tout particulièrement chez les 15-24 ans (22 % de cette tranche d’âge ayant déclarés des symptômes, contre 10,1 % en 2019 et 4,2 % en 2014).

Un syndrome dépressif majeur est détecté chez 5,3 % de la population. (source : drees.solidarites-sante.gouv.fr)

Pourtant, cette maladie reste particulièrement méconnue, et fait l’objet d’innombrables préjugés et idées reçues.

Bernard Granger, psychiatre et psychothérapeute, en a d’ailleurs fait l’objet d’un excellent ouvrage que je conseille à tous les proches de personnes souffrant de dépression (Idées reçues sur la dépression, Éditions Le Cavalier Bleu)

La dépression reste encore aujourd’hui difficile à cerner, d’autant plus que ses visages sont multiples, et que les symptômes sont variables, parfois mêmes atypiques.

La dépression se différencie de la déprime, entre autres, par la durée et l’intensité des symptômes.

La déprime est un processus normal face à une épreuve difficile, un mécanisme naturel de gestion des difficultés psychiques auxquelles nous sommes tou·te·s confronté·e·s un jour ou l’autre.

Il arrive que la déprime s’installe, et se transforme en dépression, mais ça n’est pas une fatalité.

Vous l’aurez compris, l’un des premiers facteurs pour différencier déprime et dépression, c’est le temps.

Premier week-end d’octobre, vous mettez un orteil hors du lit et vous découvrez que l’automne s’est installée pépouze, vous n’avez qu’une envie c’est rester en boule sous la couette à mater des séries en buvant du lait miel…pas de panique !

Trois semaines plus tard, vous y êtes toujours…ce n’est plus la même limonade. Au delà de 15 jours, avec des symptômes présents de manière continue, il est temps d’aller voir votre médecin.

La déprime permet un réajustement. Le contexte est difficile, le système psychique décompresse de manière momentanée afin de maintenir son équilibre, puis revient de lui-même à son fonctionnement habituel.

La dépression, elle, détériore durablement le fonctionnement psychique, le système vit un écroulement qui ne lui permet pas ce retour automatique à la normale.

Il existe des épisodes dépressifs courts mais récurrents ; et d’autres qui s’installent et durent (on parle alors de dépression chronique)

La dépression a un impact sur la qualité de vie au quotidien, avec des dérèglements physiologiques (troubles du sommeil type insomnie ou hypersomnie, dérèglements de l’appétit, de la libido, etc) en plus des manifestations psychiques (tristesse, difficultés de concentration, fatigue, perte d’intérêt ou de plaisir pour les activités habituellement appréciées, ralentissement psychomoteur ou au contraire agitation, etc)

Cependant, ces symptômes ne sont pas toujours visibles, et beaucoup de personnes n’ont pas conscience de souffrir de dépression parce qu’elles pensent ne pas cocher « toutes les cases qu’il faut ».

C’est là que les idées reçues commencent à faire des dégâts. Mais ça ne s’arrête bien sûr pas là.

Non, guérir de la dépression n’est pas qu’une question de volonté. Il ne suffit pas de se bouger, de faire du sport, de voir des gens. De nombreuses personnes se forcent pour faire plaisir à leurs proches et ne pas passer pour des fainéant·e·s qui se complaisent dans le malheur, au risque de s’épuiser davantage et de renforcer leur sentiment de culpabilité et d’incompétence parce qu’iels ne sont pas en capacité de répondre aux exigences sociales à ce moment là.

La dépression ne s’installe pas toujours à la suite d’un évènement bien identifié. Oui, certaines personnes souffrent de dépression alors qu’extérieurement elles semblent tout avoir pour être heureuses. Sauf qu’elles ne le sont pas, et ce n’est pas en les culpabilisant en leur rabâchant toutes les misères du monde que ça va leur faciliter la vie, bien au contraire.

L’idée très ancrée selon laquelle il faudrait absolument connaître les causes de la dépression pour en guérir pèse particulièrement lourd sur les épaules de ces personnes, qui, non contentes de s’entendre dire qu’elle n’ont aucune raison valable d’être en dépression, se persuadent en prime qu’elles ne pourront donc jamais aller mieux.

Le souci, c’est que si on commence à admettre qu’il n’y a pas nécessairement de cause ou de déclencheur identifiable, il nous faut alors admettre que la dépression n’est pas une maladie réservée au gens faibles, fainéants et auto-complaisants.

Et ça, ça fait flipper. Manquerait plus qu’elle puisse frapper n’importe qui pour qu’on ne se sente plus à l’abri.

Si en plus on commence à se dire que la dépression ne se voit pas nécessairement comme le nez au milieu du visage de Cyrano de Bergerac, comment va-t-on se tenir éloigné·e·s de ces braves gens, qu’on ne juge pas, loin s’en faut, c’est juste qu’on ne veut pas de ça chez nous, ça pourrait être contagieux !

Un dépressif qui se respecte reste chez lui à se noyer au fond de sa tristesse.

Ce n’est pas le collègue d’open space qu’on pense être un asocial mal-aimable.

Ce n’est pas la copine qui semble ne rien retenir de ce qu’on lui raconte ces derniers temps, quelle égoïste quand même !

Ce n’est pas l’ado qui se montre violent et teste toutes les conduites à risque dont il peut s’inspirer sur les réseaux sociaux, mais que font les parents ?

Si, au lieu de continuer de véhiculer des lieux-communs et des conseils destructeurs, on s’intéressait vraiment à l’autre ?

Si, au lieu de lui asséner des couperets culpabilisants, on lui demandait ce dont iel a besoin ? Si on acceptait qu’iel ne sache pas répondre, et qu’on reste juste là, à partager un moment, sans fuir comme si on était face à un·e pestiféré·e ?

Si, au lieu de penser qu’il « suffit de » et que « ça finira bien par passer », on cessait de minimiser la gravité de ce que vivent ces personnes au quotidien, et qu’on dédramatisait la nécessité d’un accompagnement médical et thérapeutique ?

Si, au lieu de ronchonner parce que cette feignasse de collègue qui a toujours un pet de travers n’a pas atteint ses objectifs et que ça va se répercuter sur l’ensemble de l’équipe, on faisait preuve d’un peu d’empathie ?

Si, au lieu de pointer du doigt l’éducation des parents, on écoutait la souffrance des enfants et soutenait les familles ?

Si on cessait de penser que ce qu’on ne voit pas n’existe pas comme si on était encore des nouveaux-nés pensant que leurs parents disparaissent pour de bon dès qu’ils sortent de la pièce, on acceptait de poser un regard humain sur les problèmes de santé mentale ?

Si, face à la dépression, on mettait moins de pression et plus de compréhension ?

« You may say I’m a dreamer, but I’m not the only one », comme disait John Lennon. Alors juste…imagine…

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