« Je vous reçois, au cabinet ou en visio, dans une posture dâĂ©coute bienveillante et dâaccueil inconditionnel. »
Pourquoi ce type de phrases me fait sourire ? Parce que câest une lapalissade, et quâĂ chaque fois que je lis ça je nâarrive pas Ă mâempĂȘcher de me dire « Merci Captain Obvious ! »
Pourtant, jâai moi aussi, dans mon parcours personnel, croisĂ© des professionnels de lâaccompagnement auprĂšs desquel·les je me suis sentie jugĂ©e, parfois mĂȘme malmenĂ©e, et je comprends donc que ça puisse ĂȘtre une crainte lorsquâon cherche un·e accompagnant·e.
Toutefois, je ne me reconnais pas dans la posture de celle qui se sentirait mieux de le verbaliser. Dâune part parce que, comme je lâai dit plus haut, je me serais mal vue opter pour un mĂ©tier de relation dâaide sans que ce positionnement de valeurs ne me semble Ă©vident.
Ensuite, parce que tout le monde peut se dire bienveillant. Ăa ne prouve rien. Vous aurez toujours Ă vous assurer que le ramage est Ă la hauteur du plumage.
Et puis, câest quoi la bienveillance ? Est-ce quâon en a toustes la mĂȘme conception ? Jâen doute.
Selon Le Larousse, il sâagit dâune « disposition dâesprit inclinant Ă la comprĂ©hension, Ă lâindulgence envers autrui »
Une fois encore, ça me semble ĂȘtre un prĂ©-requis de base, pas un positionnement individuel.
La bienveillance, quâest-ce que câest pour moi ?
Ce que je recherche, lorsque je me fais accompagner, câest la bienveillance de lâintention, plus que celle des actes.
On peut se travestir, on peut mettre du miel sur ses paroles, et ne pas ĂȘtre dans lâintention sincĂšre dâaccueillir ce qui vient et dâaider la personne Ă avancer. Et câest, Ă mon sens, un peu le risque Ă trop mettre le focus sur la volontĂ© affichĂ©e dâĂȘtre un·e accompagnant·e bienveillant·e.
Bien Ă©videmment ce nâest pas toujours le cas (je vois dâici les regards outrĂ©s de mes collĂšgues, Ă qui je rappelle que nous sommes gĂ©nĂ©ralement formĂ©s Ă lutter contre les gĂ©nĂ©ralisations…)
On peut mettre en lumiĂšre les zones dâombre, braquer le projecteur sur ce que lâautre ne veut ou ne sait pas voir seul·e, placer la personne face Ă ses incohĂ©rences et ses contradictions, et sembler parfois peu tendre, en ayant sincĂšrement lâintention de permettre Ă celleux quâon accompagne dâavancer.
Ă titre personnel, je prĂ©fĂšre trĂšs largement la seconde option. Et je sais que, parfois, ça va piquer. Pas toujours, mais ça arrive, et si ça fait partie du chemin Ă ce moment lĂ , jâestime que câest le job de la personne qui mâaccompagne de me mettre face Ă cela.
La thĂ©rapie, ce nâest pas le monde des Bisounours. Je ne dis pas non plus que câest nĂ©cessairement confrontant ou que ça doit passer par la souffrance, attention. LĂ encore, je crois sincĂšrement que quand on a lâintention de faire le mieux pour la personne quâon reçoit, on est en capacitĂ© de crĂ©er lâespace de sĂ©curitĂ© nĂ©cessaire pour quâelle puisse aller lĂ oĂč elle doit aller travailler sans ajouter Ă ses difficultĂ©s ou ses souffrances actuelles.
Ce que je dis en revanche, câest que quand je paye un·e thĂ©rapeute, ce nâest pas pour ressortir avec les mĂȘmes bĂ©nĂ©fices quâaprĂšs un cafĂ© avec des potes. Sinon, bah…jâai des potes pour ça (et la facture nâest pas la mĂȘme).
Alors oui, parfois, on est amené·es Ă ne pas ĂȘtre gentil·les. Parfois on va dĂ©clencher des Ă©motions fortes en sĂ©ance. Ăa ne devrait pas nous faire peur, Ă nous praticien·nes, parce quâon sait quâon a les compĂ©tences pour en faire un levier dâĂ©volution pour la personne en face de nous.
Pourtant, je vois souvent en supervision des collĂšgues qui ne veulent pas aller sur ce terrain lĂ , de peur de ne plus ĂȘtre considĂ©ré·es comme « bienveillant·e », alors que les leviers Ă©motionnels sont les plus puissants pour vous aider Ă avancer, en particulier en hypnose.
La bienveillance privilégiée.
On peut Ă©galement heurter les personnes quâon accompagne, parfois sans le vouloir.
Pourtant, jâai un peu de mal Ă mettre ça uniquement sur le compte de la maladresse, et lĂ encore, jây vois une limite de la bienveillance coeurscoeurs-paillettes-licornes.
Non, je ne reçois pas toutes les personnes sans différenciation.
Cette posture, câest pour moi une nĂ©gation des oppressions que subissent bon nombre de personnes, et un confort personnel Ă ne pas regarder ses propres privilĂšges en face.
Lorsque je reçois une personne racisĂ©e, je ne prĂ©tends pas « ne pas voir les couleurs »(entendu rĂ©cemment encore, jâai levĂ© les yeux au ciel si fort que jâai vu mon cerveau…).
Lorsque je reçois une personne en situation dâobĂ©sitĂ©, je ne fais pas comme si ça ne changeait rien Ă son quotidien.
Un couple queer venant me voir parce que traversant des tensions liĂ©es Ă un parcours PMA ne fera pas face aux mĂȘmes difficultĂ©s dans ce parcours quâun couple hĂ©tĂ©rosexuel. Il y aura des spĂ©cificitĂ©s.
Une fois encore, je ne dis pas que jâen fais un problĂšme sâil sâavĂšre que ça nâen est pas un pour la/les personnes que jâaccompagne. Ce nâest pas Ă moi de dĂ©finir cela.
En revanche, je ne prends pas à mon compte cette posture de déni des différences sous couvert de bienveillance.
Je suis plutĂŽt du genre « Venez comme vous ĂȘtes ». Oui, je sais, câest dĂ©jĂ pris , mais je mâen moque.
Venez comme vous ĂȘtes. Avec vos particularitĂ©s, avec vos difficultĂ©s, avec le bazar qui rĂšgne peut-ĂȘtre dans votre tĂȘte et vos Ă©motions. Mon job, câest de vous aider Ă retrouver la libertĂ© de choisir quoi en faire, pas de vous dire que tout va bien. Câest de vous redonner du pouvoir, pas de vous brosser dans le sens du poil.
Ce serait bien Ă©videmment assez facile pour moi, femme blanche cisgenre hĂ©tĂ©rosexuelle ayant fait des Ă©tudes supĂ©rieures de ne voir les choses que par le bout de ma lorgnette. Et il mâarrive forcĂ©ment de le faire, parce que je vis avec ces privilĂšges, quâil y a des oppressions que je nâai jamais eu Ă subir, que je ne peux pas comprendre et que jâai internalisĂ©es.
Câest pour cela que je fais le choix de questionner, de parler de ces sujets en sĂ©ances. Sans insister sâil sâavĂšre que ça nâest pas une problĂ©matique pour la/les personnes en face de moi.
ĂgoĂŻstement peut-ĂȘtre, cela me permet de continuer Ă dĂ©construire des schĂ©mas qui pourraient limiter ma perception des situations auxquelles font face les personnes que jâaccompagne.
Câest parfois aussi accepter dâĂȘtre mise face au travail que jâai encore Ă faire pour crĂ©er un espace dâaccueil le plus « safe » possible, au fait que je peux parfois moi-mĂȘme vĂ©hiculer ces oppressions.
Câest accepter quâon mâenseigne Ă porter mon attention lĂ oĂč il serait facile pour moi de ne pas regarder.
Lorsque jâĂ©tais enseignante, il y a avait une citation que je me rĂ©pĂ©tais souvent : « When one teaches, two learn » (Lorsquâune personne enseigne, deux apprennent )
Je crois aussi Ă cette rĂ©ciprocitĂ© dans lâaccompagnement.
Non pas que le/la thĂ©rapeute doive apaiser ses propres blessures en sĂ©ance (et je nâinsisterai jamais assez sur lâabsolue nĂ©cessitĂ© dâĂȘtre soi-mĂȘme accompagné·e et supervisé·e lorsquâon fait ces mĂ©tiers)
Mais jâapprends chaque jour des personnes que jâaccompagne, tout comme jâai appris pendant 20 ans de mes Ă©lĂšves.
La bienveillance pour moi câest aussi de dire que je ne sais pas tout. Jâapporte des outils, des techniques, des compĂ©tences, un regard diffĂ©rent sur les situations que vous vivez. Je ne peux pas prĂ©tendre la comprendre, parce que je ne saurai jamais la ressentir comme vous la ressentez.
Parfois, la bienveillance sera aussi de vous amener Ă voir quâil y a une diffĂ©rence entre la situation telle que vous la vivez, votre ressenti, aussi lĂ©gitime soit-il, et ce que peuvent en percevoir les autres. Câest notamment un axe de travail essentiel Ă mon sens dans la thĂ©rapie du couple et de la famille, mais aussi dans le travail sur les relations aux autres quâon est souvent amenĂ©s Ă faire ensemble.
Le changement nâest jamais un processus linĂ©aire. Votre rythme variera, vos besoins ne seront pas les mĂȘmes Ă toutes les Ă©tapes, et je ne pourrai mây adapter (tout en restant fidĂšle Ă celle que je suis) sans accepter dâĂȘtre, parfois, dans le rĂŽle de la mĂ©chante.
Parfois vous aurez envie de me dire merci, parfois vous aurez envie de me dire merde. Les deux ont autant de valeur Ă mes yeux.
Les deux seront accueillis, dans lâĂ©coute et la bienveillance (et parfois, vous l’aurez compris j’espĂšre, avec un peu de second degrĂ©).